- Ouéééé le T9 comme j'adore ça, ça m'apprend l'orthographe mon frère ! -Ah bon ? -Oué mon frère, je t'explique, je commence un mot il me dit la fin. Par exemple, tu vois, "tans pis", j'arrivais pas à l'écrire avant, mais maintenant je sais, parce que je commence : "T...A...N..." et là le portable, je te jure mon frère, il me propose "tanpis". Donc maintenant je sais l'écrire. Franchement mon frère, le T9 c'est de la balle.
Pas trop tôt, un matin, sur les Champs-Elysées, l'homme/la femme-sarcophage se repose sur un banc avant une longue journée d'immobilité pour faire plaisir aux touristes.
Engoncé dans sa toge dorée, on n'y voit pas une main, juste deux pieds parallèles et un masque derrière lequel rien ne bouge. Seul signe de vie de la "chose" : elle respire, continuellement. Aucun moyen de savoir si elle me regarde, et ses petits poings serrés engoncés dans le tissu doré.
lance un cycliste d'environ 130 kilos de muscle à une automobiliste de moins d'un mètre cinquante recroquevillée dans sa Clio pont Alexandre III.
Les cyclistes, c'est plus ce que c'était. Fut un temps, un cycliste, c'était un homme à la David Abiker, avec de belles lunettes carrées, un pantalon à pinces et des chaussures vernies, si possible légèrement en pointe. C'était quelqu'un qui faisait les accords au féminin (il aurait dit connasse, et oh la la ou Enfin, un peu de respect ! en début de phrase).
Bientôt, le 4x4 détrônera le vélib', et les métrosexuels parisiens paraderont sans plus jamais salir leurs souliers.
Il y a trois points névralgiques
dans un bus parisien.
Le premier, et non des moindres,
se situe plus ou moins entre le chauffeur (la chauffeuse) et les quatre places
prioritaires, indiquées par de laids autocollants oranges. C’est le lieu des
politesses (hypocrites, bien souvent), des « Mais bien entendu
mâdâme ». On y apprend avec étonnement, et grâce à un autre laid petit
autocollant (mais moins à la vue du public) l’ordre des priorités pour ces
places convoitées. Ainsi, mieux vaut être mutilé de guerre (ou mutilé
militaire, c’est kif kif) qu’aveugle civil. Quand aux plus de 75 ans, ils/elles
peuvent aller se brosser devant les femmes enceintes, en écopant de la dernière
et neuvième place du classement des réfugiés de la place assise.
Quelques conflits, parfois, et
surtout quand il y a des strapontins. En cas d’affluence, un infirme doit-il
s’asseoir et risquer la vindicte populaire ou rester debout ? Grande question,
jamais résolue (et a priori ce n’est
pas gagné).
Deuxième point névralgique, et là
encore nous sommes dans une question de priorité, la porte centrale, l’unique
porte centrale (je me souviens des bus de quand j’étais gamine, il y avait trois
portes, pas de rotonde, et surtout un déchiqueteur de tickets qui ne le bouffait
pas pour le marquer à l’encre mais qui le poinçonnait réellement dans un bruit
sourd et fort). Les fauteuils roulants sont paraît-il prioritaires sur les
poussettes. Mais les caddies ? Et les valises à roulettes ? S’ensuit
donc toujours une plainte montant des tréfonds du bus (et essentiellement de
ceux qui sont debout), « Encoooore », à la énième poussette montant
par la porte arrière, coinçant le malheureux fauteuil roulant contre sa place
réservée.
Point névralgique également parce
qu’il existe une heure dans la journée (impossible de la déterminer, c’est
selon) où les poussettes se donnent rendez-vous. Mais attention, pas n’importe
quelles poussettes. Les super grandes poussettes de la mort, celles qui
semblent faites pour des triplés avec animal de compagnie, vache laitière et
biberon multi-jet. Accompagnées des super parents de la mort (ça ne fonctionne
qu’en couple), qui non seulement souhaitent monopoliser les places assises
derrière la « zone de pleurs autorisés », mais qui plus est prennent
leur rejeton sur les genoux, et refusent de replier la poussette. Mais exigent
qu’elle reste près d’eux.
Enfin, dernier point névralgique,
le moins remuant en général, mais le plus intense quand il s’agit de se
scandaliser, la rotonde de fond de bus, toujours vide debout, bondée assise
(les six places indiquées généreusement par la RATP n’impressionnent plus
personne). L’endroit du bus où ceux « qui vont bientôt descendre » ne
s’engouffrent jamais, probablement par peur de ne pas réussir à sortir de la
jungle populaire pour accéder à la royale porte centrale.
Bref, c’était surtout de ce petit
endroit dont je voulais vous parler. Particulièrement hétérogène, cet espace
ressemble à s’y méprendre à un tribunal populaire. Généralement calme, il peut
cependant atteindre extrêmement rapidement le point Goodwin de la conversation
banale (actuellement, ce point est atteint dès que la conversation porte sur
notre actuel président).
L’autre jour, alors que notre
chauffeuse (mot qui ressemble beaucoup à logeuse, ce qui est agréable) nous
annonçait une petite attente de cinq minutes (pour des raisons de régulation),
le camp, jusqu’alors uni dans les calmes tressautements du bus se divisa. Il y
avait les outrés (« Comment ? Comment a-t-elle pu faire ça, la
salope ! » fuse derrière moi du beauf en veste à cuir), les suiveurs
(« Dans la société où on vit, c’est toujours comme ça ! »), les
calmes, les interrogateurs (« Que se passe-t-il ? », les
polémiqueurs, les souriants, les agressifs, etc. Un ronchon nerveux sortit du bus
en vociférant, un autre s’apprêta, après avoir déblatéré sur la perte des
valeurs, décida de finir son chemin à pied (au moment où la régulation décida
de faire repartir notre engin).
Nous attendîmes vainement le
point Goodwin (atteint l’autre jour par un vigile au parc, mon patron lors
d’une réunion, deux mamies parlant Carlita dans le bus), mais il ne vint pas.
A la place, nous écopèrent des
places des deux zigotos impatients, et arrivèrent à notre destination bien
avant eux.
En rentrant de mon travail, un soir, regagnant le métro, voilàtypas qu'un nain péruvien vient danser autour de moi. Je n'ai rien contre les nains, et rien contre les péruviens. Encore moins contre les gens qui dansent, et surtout ceux qui frottent leur pouce contre leur index quand ils le font.
Mais voilà, chassez le naturel, il revient au galop. Devant les étranges, à Paris, un seul moyen de ne pas se taper la tête contre les réverbères, "le masque". D'où la réputation atroce des parisiennes à l'étranger. Bref, j'ai fait fuir le fâcheux. Pourtant, c'était drôle. (et vrai !)
Il y a ceux qui font "les choses de la journée qui prennent quelques secondes mais qu'on n'a jamais le temps de faire" : épousseter ses épaules, se repeigner (pour les hommes), se reblusher (pour mesdames), mais aussi essuyer ses lunettes avec le petit torchon spécial (et pas le tee-shirt), enlever un à un les cheveux blonds qui ornent son tailleur noir.
Ceux qui lisent, ceux qui rattrapent la nuit (d'avant ou d'après). Ceux qui notent, ceux qui jouent à un jeu si possible débilisant, si possible en costard cravate. Ceux qui lisent des rapports, qui corrigent des copies, qui concluent un accord au téléphone, qui écoutent de la musique en faisant bien attention à en faire profiter tout le wagon.
Ceux qui matent, ceux qui draguent, ceux qui rêvassent, qui écrivent des lettres, qui dévorent le Canard enchaîné (si possible de manière ostentatoire), qui massent leur talon, qui se remettent un pansement, qui mangent un pain au chocolat.
Et ceux qui regardent, comme moi. Et qui malheureusement ont du mal à faire autre chose en même temps.
L'homme qui s'est précipité sur ma pâle figure détrempée alors que je remontais la rue Beaubourg, afin de m'abriter de son grand parapluie (et accessoirement me demander le chemin pour aller rue B. de Clairvaux).
En sortant mon plan...
-Car je suis une parisienne qui se perd tout le temps.
-Ca existe ça ? demande-t-il, gentil (et pas regardant sur mon visage qui gouttait peu à peu sur les lignes obscures du 3e arrondissement de la page 54 de mon plan)
Quelques explications tarabustées plus tard, il me laisse repartir, et lance un "Dommage !" en me regardant regagner au pas le métro Arts et métiers.
Et pourtant, je pensais avoir mémorisé le code. Alors je fais un A, et puis un 3, un 7 peut-être, un 5. Zut, ça devait être B. Enfin bon, je recommence, et je mets le 5 au début. J'ai le code dans le fin fond de mon sac à dos, mais le sol est plutôt cracra, et puis je dois bien retrouver ce code...
-Il faut ouvrir avec votre vag*n ! me lance un passant.
Dans les rainures des murs (toujours), là où le chiffon de la laconique femme de ménage ne passe pas :
"J'ai mon bac", dit une. "Moi aussi", répond au stylo rouge qui bave une autre, sans haine.
Plus loin "Yacine je t'aime". Bizarrement, aucun "On s'en fout", mais un "Vive Sarkozy !" suivi d'un lapidaire "Pitié !"
Puis "Je suis morte". Pas loin, à côté de la plaque mais bizarrement éloigné du premier, avec une jolie écriture au bic très enfantine : "Un jour j'aurais mon L1"
I still believe in miracles.
"-Est-ce qu'il vous est arrivé personnellement beaucoup d'événements merveilleux ?
-Mais oui, je suis comme tout le monde, ça n'arrête pas" (Les incertitudes du langage)