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Brèves de trottoir
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19 novembre 2007

Serge

Serge habite dans une impasse sombre. Il paraît qu'on va bientôt construire une maternité tout au bout.

Personne n'y passe jamais, je ne sais même pas si les fenêtres qui donnent dessus ont leurs portes dans l'impasse.

Serge n'a plus de dents. Il a du mal à se tenir assis, il dit aller bien, puis mal. Et il va mal (je passe sur les détails qui sont assez humiliants comme ça). Il ne boit même pas notre soupe, ne peut même pas avaler un croissant.

Alors on appelle les pompiers. Ca ne m'était jamais arrivé de devoir appeler les pompiers ; généralement le samu social est plus rapide, mais ce soir ils nous disent que Serge ne pourra pas voir de médecin avant demain matin, situation inconcevable. Alors après négociations, on fait venir les pompiers (Serge ne les aime pas tellement, car ils l'amènent toujours à Saint-Antoine, qui n'est pas le lieu idéal pour les gens de la rue).

On fait notre possible pour que Serge ne pleure pas, qu'il reste allongé, qu'il sache qu'il est important pour nous (car c'est vrai) qu'il aille mieux.

Quelques minutes plus tard, on voit les sirènes au coin de la rue, les pompiers débarquent. Et nous tirent une tronche pas possible.

"Oh la la il schlingue..." dit l'un d'entre eux en aidant Serge à monter dans le camion. Ce qui est vrai. Mais la délicatesse n'a pas l'air d'être son fort. Le jeune homme au crâne rasé a l'air rodé. Pire, il a l'air de s'en foutre. Nous, ça nous secoue, on ne sait pas quoi dire, on dit au revoir à Serge, on sait que demain, il retrouvera sa niche dans son impasse, ses couvertures souillées et ses poux de corps, sa gale et ses vieux sacs plastiques.


Edit : J'entends tous les jours que nous ne servons à rien, à la Croix-rouge. Que nous ferions mieux "d'apprendre au paysan à pêcher plutôt que de lui donner du poisson", que notre neutralité ne nous donne pas force d'action. Mais le soir, lorsque nous sortons avec nos thermos et nos boîtes de sardines, on se dit bien que ce n'est pas ces mots là qui nous blessent le plus. Mais de savoir que l'an dernier, Bruno, Frédérique et Dominique sont morts, qui d'une cirrhose, qui encore d'une grippe.

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  • I still believe in miracles. "-Est-ce qu'il vous est arrivé personnellement beaucoup d'événements merveilleux ? -Mais oui, je suis comme tout le monde, ça n'arrête pas" (Les incertitudes du langage)
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